lundi 13 février 2017

Les codes de la Bande-dessinée. Cours 3: Question de style

Le style de dessin, le graphisme, le choix de l'outil même, peux modifier la perception de l'histoire par le lecteur. Certains auteurs, comme Art Spiegleman, changent leur style de dessin en fonction du contenu de leurs livres.

Scott Mc Cloud, dans son indispensable essais dessiné L'Art Invisible, qui analyse le fonctionnement des comics, estime que plus un personnage est simplifié, plus on a la faculté de s'identifier à lui. On constate que les style graphique les plus simple sont souvent les plus populaire... 

Hérgé, Tintin et le lotus bleu
...comme c'est le cas avec Tintin. Un visage rond avec deux point et deux traits pour les yeux, le nez et la bouche. Son caractère aussi est assez neutre. Les personnages secondaires sont eux plus expressifs, voire caricaturaux (Haddock, Tournesol, Castafiore...). On remarquera que les décor sont eux assez réalistes, avec un soin documentaire allant jusqu'à l'utilisation de véritable caractères chinois sur les banderoles.

Greg, Achille Talon
Traditionnellement on divise la BD en 3 styles: Gros nez / Gros bras / Grands yeux
Nous avons ici un exemple typique du style gros nez qui correspond à l'école Franco-Belge de la bande-dessinée humoristique 



Hulk
Un exemple de style gros bras qui correspond aux comics américains, très porté sur l'aventure et les super-héros

Princesse Sakura
Le style grands yeux est attribué aux mangas qui arrivent du japon. Cet exemple se passe de commentaire: les yeux font la moitié du visage

Desberg/Marini, Le scorpion
Le style réaliste colle bien aux série d'aventures et d'Histoire. C'est ici le cas avec une fiction qui se passe au XVIII dans une Rome très réaliste peinte à l'aquarelle

Segrelles, Le Mercenaire
Le réalisme marche aussi avec l'héroiquee-fantaisie car il permet au lecteur d'y croire un peu plus. Le dessin quasi photoréaliste de Segrelles donne quasiment vie à des montres et dragons de toutes sortes, que combattent de fiers barbares inspirés par Conan

Solocombe, Cité des Anges
Le réalisme est aussi utilisé dans le domaine du polar. Ici les dessin encrés à la plume sont fait d'après des photos, ce qui renforce le détachement désabusé du narrateur (typique du roman noir) qui parle en voix off dans les récitatifs


Dias / Guarnido, Blacksad, Tome 2, Artic-nation
Parfois le style se mélangent un peu, comme ici ou des animaux humanisé évoluent dans des décors très réalistes des USA de l'entre-deux-guerres. Cette fable animalière évoque avec brio la montée au pouvoir d'animaux de couleur blanches, dont les propos et le logo d'un flocon de neige de sont pas sans rappeler celle du partie nazie en Allemagne. Les couleurs à l'aquarelle et le dessin très expressif sont réalisé par Guarnido qui à beaucoup travaillé pour les studios Disney 

Osamu Tezuka, Histoire des 3 Adolf
Ce très beau manga relate l'histoire de deux garçons allemands vivants au japon, l'un juif, l'autre né de mère japonaise, sur fond d'accession au pouvoir d'Adolf Hitler en Europe. Dans cette page d'un discours du Führer, le style très expressif de Tezuka (le père du manga moderne qui dessina Le roi léo et Astro Boy), renforce la gestuelle outré et caricaturale de l'orateur  

Bastien Vivès, le gout du chlore
Cette BD quasi-muette et très contemplative se passe en grande partie dans une piscine municipale. Le travail à la tablette graphique et la mise en couleur sur ordinateur permet de bien rendre les images vues sur et sous l'eau, ce qui aurait été plus difficile avec les outils traditionnels (encre, crayons...)


Baudoin, Matt
Pour raconter l'histoire de ces gamins des rues, Baudoin utilise le pinceau et l'encre. Cela donne un graphisme très libre, qui va jusqu'à sortir des cases, tout comme ces enfants

Blutch est un auteur qui adapte beaucoup son style en fonction de l'histoire. Pour cette scène de danse il utilise le pinceau et l'encre. La deuxième case est presque abstraite, les corps se mélangent et se confondent...

Blutch, la voluptée
... Alors que pour cette planche plus fantastique il utilise un crayon noir épais, rehaussé de sanguine, avec des cases au bords imprécis, pour renforcer l'étrangeté et l'angoisse du récit

Lorenzo Mattotti,
Dr Jeckyll et Mister Hyde
Très beau travail au pastel, coloré et expressionniste, pour cette histoire qui touche aussi au fantastique


Winshluss, Pinnochio,
Parfois des auteurs mélangent des styles (Gros nez et réaliste) mais aussi des techniques (encre, aquarelle, crayons de couleurs) dans une même planche pour renforcer l'expression voulue de chaque case. 



Pakito Bolino
D'autres auteur font clairement le choix de l'experimentation libre, au détriment parfois de la clarté du récit et de la lisibilité. Pour eux c'est l'aspect visuel général de la page qui importe le plus



Une petite page résume plus ou moins mon propos ici
http://www.icomene.com/icomene/styles-graphiques.html

Si on se concentre sur le récit d'Art Spiegelman sur la Shoah, on voit une évolution graphique radicale entre les premiers essais et la dernière version de son chef d'oeuvre Maus, qui raconte la survie de ses parents à Auschwitz. (cette partie de l'article doit beaucoup au catalogue de l'exposition Shoah et Bande-dessinée et à l'ouvrage MetaMaus)


Prisoner on the hell planet est un court récit de 1972 qui cherche à donner un sens au suicide de la mère de l'auteur, Anja, rescapée des camps de la mort, que l'on voit en photo dans la première case. L'horreur de l'holocauste y est évoqué dans un style dur, noir, brut et violent qui correspond aux comix underground de l'époque et inspiré par les gravures sur bois du mouvement expressionniste.





Une première version de Maus est dessinée en 3 pages en 1972 également. Le style graphique est déjà plus accessible avec un zoomorphisme qui évoque Disney (la jeune souris qui écoute le récit de son père s'appelle d'ailleurs Mickey). Ce principe, qui permet de mettre de la distance avec le lecteur pour qu'il accepte l'histoire, avait déjà été utilisé par Calvo dans la bête est morte ou le plus confidentiel Mickey au camp de Gurs d'Horst Rosenthal. 

La bête est morte, du français Calvo, parue entre 1944 et 1945 est la première bande-dessinée à évoquer directement la déportation et le massacre des juifs par les allemands, et le restera pendant longtemps. Chaque nationalité est représenté par un type animalier, les français étant des lapins et les allemands des loups.



"En octobre 1940, le jeune illustrateur Horst Rosenthal, réfugié juif allemand, interné au camp de Gurs, dans les Pyrénées-Atlantiques, dessine trois carnets de croquis, jamais publiés à ce jour.
Son Mickey à Gurs met en scène le héros de Walt Disney qui incarne, à travers des situations burlesques, autant le rêve américain que le fantasme d'un monde sans entraves et sans parias. Ces illustrations racontent sur un ton ironique, subversif et potache, la cruauté de la condition d'apatride et l'insupportable monotonie de l'enfermement concentrationnaire. Ces petits carnets qui ont circulé entre les mains des prisonniers, ont, par miracle, échappé à la censure et à la mort de leur auteur.
On sait peu de choses de la vie de Horst Rosenthal. Né à Breslau en 1915, il fuit à Paris en 1933. Comme la majorité des exilés, il multiplie, en vain, les démarches pour obtenir des papiers. Interné dans plusieurs camps, il est déporté le 11 septembre 1942 à Auschwitz où l'on suppose qu'il a été assassiné dès son arrivée." (source Amazone)



Pour son roman graphique en deux parties, de 300 pages, publiés entre 1987 et 2012, Art Spiegelman trouve le style qui contribuera à la popularité de l'oeuvre. Si il garde le principe de la fable animalière, le trait se fait plus simple, minimaliste même, et s'éloigne du style enfantin du premier essais. Si les juifs sont représentés par des rongeurs (rats/souris), animaux considéré comme nuisibles, c'est pour se conformer à la vision du monde des dirigeants nazis qui programmèrent l'extinction pure et simple d'une catégorie d'individus. Hitler utilisera souvent l'image des rongeurs nuisible, porteur de destruction, mangeur de récolte et propagateur de maladie, pour designer les juifs. En cela le travail de l'artiste est très cohérent car il se conforme à une vision schématique du monde, en noir et blanc (sans nuances) et ou les êtres sont classés par espèce distinctes qui ne peuvent pas se mélanger...


Sur cette double page de Metamaus on voit bien les différentes étapes du processus de travail qui vont de l’écriture à la composition de la page. L'oeuvre est le fruit d'un énorme travail de recherche documentaire.


Crayonné préparatoire, qui montre le travail de recherche de chaque plan, afin de lui donner sens dans le déroulement narratif...

La case finale, à l'encre et à plume, assez différente du croquis préparatoire. Le chemin forme une croix gammée, symbolisant l'impossibilité de fuir le nazisme

La 4ème planche du récit en 8 pages Master Race de l'américain Bernard Krigstein, publiée en 1954. Premier comics à traiter directement du thème de la Shoah, il marquera profondément le jeune Art Spiegelman qui reprend l'idée de la croix gammée dissimulée dans la paysage de la case 6.


Malgré le minimalisme du dessin, le travail est documenté de façon précise. On reconnait ici très bine l'entrée du camps d'extermination d'Auschwitz 



La grande prouesse de l'auteur aura été de garder un style absolument identique durant les 25 ans qui nécessiteront l'achèvement de son œuvre.

Autoportrait de l'artiste dessiné pour The Times dans le cadre d'une exposition au Jewish Museum in Manhattan. Son visage est divisé par les différents style qu'il aura utilisé dans sa carrière.



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