lundi 20 avril 2015

Les artistes et le 11 septembre

Histoire des Arts : La ville
La ville en guerre ? Le terrorisme au XXème siècle
Les artistes et le 11 septembre

Photographie de l'agence de presse Reuters
Le matin du 11 septembre 2001 percèrent dans le ciel clair de Manhattan deux avions de ligne, qui à quinze minutes de distance vinrent chacun s’enfoncer dans l’une des tours jumelles du World Trade Center, symbole iconique de la puissance économique et culturelle des Etats-Unis. Quelques instants plus tard, un troisième avion s'abattait sur le Pentagone, à Washington D.C., tandis qu’un quatrième appareil, qui devait également être détourné vers la capitale américaine, s’écrasait dans une mine à ciel ouvert de Pennsylvanie.


Plus que toutes, ce sont les images des Twin Towers, percutées par les avions, puis s’effondrant dans un fracas de cendres et de poussières indescriptible, qui marquèrent les esprits. C’est dans la presse, notamment à la télévision et sur Internet, qu’elles apparurent très rapidement, « 9/11 » devenant le premier événement historique vécu en temps réel à une telle échelle, par des millions de spectateurs incrédules.

 Art Spiegelman, 9/11/0, dessin pour la couverture du New Yorker
                                                                                                                  
Chacun se souvient de cette journée du 11 septembre 2001, où il était et ce qu'il faisait au moment où il a vu ces images inconcevables d'avions de ligne pénétrant le ciel d'azur de Manhattan pour venir s'enfoncer dans les tours jumelles. Images inaugurales d'une décennie de paranoïa généralisée qui, avec la mort d'Oussama Ben Laden et une crise financière qui détourne les gouvernements de guerres inutiles, semble être en train de se clore. Les artistes plasticiens, sensibles plus que tout autres aux images, se sont emparés du sujet, pour tenter de comprendre ce que beaucoup n'ont pu croire de leurs yeux lors de ce fameux 9/11. 

C'est tout naturellement dans la presse que les premières images de la tragédie sont apparues. L'artiste Hans-Peter Feldmann a réuni les unes des numéros des principaux titres de la presse internationale datés du 12 septembre. Une image du jour d'après qui, répétée à l'infini, forme une sorte de wallpaper de la catastrophe.

Hans-Peter Feldmann9/12, installation, vue de l'exposition au Museo Reina Sofia, Madrid, 2010.


Témoignage ultime d'un angle de vue désormais disparu, cette photographie a été prise en 2001 du haut des tours jumelles du World Trade Center, à quelques mois des attentats. Elle permet au spectateur de procéder à un vertigineux transfert, en adoptant le point de vue des victimes présentes dans les tours au moment du crash.

Alain DeclercqMike on the top of the World Trade Center, 2001, photographie couleur. Courtesy galerie Loevenbruck, Paris

Le photographe Olivier Culmann, du collectif Tendance Floue, a choisi de représenter le « hors champ de la catastrophe ». « J'ai volontairement tourné le dos au lieu de l'attentat, explique-t-il, pour observer ceux qui s'en approchaient. Figés, hébétés, puis passants, furtifs, spectateurs de quelques secondes : les Américains portaient sur leurs visages les abyssales interrogations apparues avec la destruction. »

Olivier CulmannAutour, 2001-2002.

Frances Torres a photographié les débris métalliques du World Trade Center, qui sont toujours conservés dans le Hangar 17 de l'aéroport JFK de New York. Ces formes torturées représentent, selon le photographe, des « substituts symboliques des victimes ».      
                                                         
 Frances TorresMemory Remains, Folded Steel Column, 2009. © Frances Torres
Joel Meyerowitz fut le seul photographe accrédité auquel il fut permis de pénétrer à Ground Zero dans les heures qui suivirent les attentats. Les images apocalyptiques qu'il en rapporta, et qui constituent la série Aftermath évoquent une atmosphère irréelle, propre au cinéma de science-fiction.

Joel MeyerowitzThe North Tower shroud in smoke and spray, issue de la série Aftermath, 2001. Courtesy Edwynn Houk Gallery, New York.
Dix ans après le 11 septembre 2001, on se rend compte que peu d’artistes, finalement, auront osé s’engager sur le terrain glissant de la réaction directe à un événement qui a pourtant en grande partie défini la décennie 2000. Sans doute parce qu’il conserve une inquiétante étrangeté et semble encore aujourd’hui irréel, « 9/11 » est une matière vive qui reste difficilement préhensible par les artistes.
Joel Meyerowitz
Parmi les artistes de confession musulmane, les réactions ont été diverses. "Certains n'ont pas du tout eu envie de rentrer dans ce débat-là. D'autres qui, par ce que j'appelle 'l'orientalisme intériorisé', ont un peu sauté sur ce créneau. D'autres encore disent qu'ils ne travaillaient pas sur ces questions mais qu'il y a eu comme une assignation à s'y intéresser : 'ils sont musulmans donc ils connaissent mieux le sujet que les autres, ils peuvent nous éclairer là-dessus'", explique Véronique Rieffel.

"Beaucoup d'artistes se sont ainsi découverts 'artistes musulmans' après le 11-septembre", poursuit-elle. A l'instar de l'artiste marocain Mounir Fatmi. "Il appartient à cette catégorie d'artistes globalisés, qui ont des identités mouvantes. A Paris, il était considéré comme un artiste arabe ; aux Etats-Unis où il est beaucoup exposé, il était considéré comme un artiste de la jeune scène française et depuis le 11-septembre, il est considéré comme un artiste musulman un peu partout", poursuit-elle. Pourtant, comme elle le développe dans son ouvrage Islamania (éditions Beaux Arts, 2011), "on ne peut pas véritablement parler d'artiste musulman aujourd'hui, mais d'artistes qui sont avant tout des artistes contemporains, se nourrissant de leur rapport au monde et des perceptions dont ils sont l'objet".

L’artiste Mounir Fatmi

Le projet Save Manhattan est une réflexion sur les attentats du 11 septembre 2001. Il se compose de trois éléments distincts, Save Manhattan 01Save Manhattan 02 et la version finale de Save Manhattan 03, présentée pour la première fois lors de la biennale de Venise 2007. Save Manhattan 01, 2003-04, était construite avec de nombreux livres écrits suite aux événements du 11 septembre, à l’exception de deux exemplaires du Coran. Les livres étaient disposés sur une table de façon à ce que leur ombre projetée sur le mur dessine la ligne d’horizon de Manhattan telle qu’elle était avant le 11 septembre. Les deux exemplaires du Coran recréent ainsi l’image spectrale des tours jumelles.

Mounir FatmiSave Manhattan 01, Table, livres publiés après le 11 septembre, élastiques, projecteur, 150 x 90 cm.Comprendra bien qui comprendra le dernier, Le Parvis, Ibos, 2004, 
Collection du FNAC, Kamel Lazaar Foundation, Tunisia, & Art Gallery of Western Australia.

 
En 2005, Mounir Fatmi a réalisé Save Manhattan 02. Cette installation se compose de cassettes VHS empilées sur une plate-forme posée à même le sol. Les cassettes VHS, un élément récurrent dans l’œuvre de l’artiste, sont également disposées de manière à rappeler l’horizon de Manhattan avant la tragédie, même si cette installation ne comporte pas d’ombre portée. Save Manhattan 02 est une structure dépouillée en noir et blanc. On peut voir dans l’utilisation les cassettes une réflexion sur la frénésie des médias et la dureté des images diffusées en boucle après les événements. Cette œuvre cherche pourtant à commémorer l’attitude des médias et à évoquer les moments de silence entourant le chaos, amplifié par l’action des chaînes de télévision et les journaux du monde entier.


Save Manathan 02
Save Manhattan 03, Architecture Sonore est l’élément final de cet ensemble. Alors que les deux premières versions utilisaient livres et cassettes VHS, cette installation utilise le son comme élément essentiel à travers quatre-vingt-dix haut-parleurs de tailles et de formes différentes disposés sur le sol. Ce concert de bruits provient de sons réels qui reflètent le brouhaha de la vie urbaine : des klaxons, des crissements de pneus, le métro, des accidents de circulation mais aussi de sons fictifs car extraits de films d’action hollywoodiens. Ces sons synchronisés sont divisés en trois boucles sonores qui correspondent alors à l’architecture des haut-parleurs. Cette œuvre donne une image forte de la ville de New York, présentée comme un corps qui vit, qui respire, qui souffre et qui est capable de résister même aux événements les plus catastrophiques.                                                    

Mounir Fatmi, Save manhattan 03, 2007, Sound architecture, enceintes, sound system, soundtrack, lumière et ombres, 
500 x 250 x 100 cm. 52ème Biennale de Venise, 2007
Collection Hessel Foundation for Bard Museum, USA..
En toile de fond, on retrouve une réflexion sur l'architecture chère à l'artiste. "J'ai toujours dit que l'architecture était fragile, plus fragile que nous. Avec la chute des tours, les gens ont compris que l'architecture ne nous protège pas. Plus c'est haut, plus c'est dangereux. Plus elle est politique, plus elle est grande et brillante et plus elle devient politique et dangereuse."
En 2003, personne ne veut montrer Save Manhattan"Il n'y avait pas assez de recul, la situation politique était encore brûlante avec l'Afghanistan, l'Irak, donc on n'arrivait pas à accepter un tel travail. Personne ne comprenait pourquoi je le faisais. Tout le monde jugeait en même temps et l'artiste et la pièce", se rappelle-t-il. C'est au Centre contemporain Le Parvis que l'œuvre est pour la première fois montrée en 2004. La pièce a mis du temps à trouver son public. Puis, le public a évolué avec la pièce. "Quelques années après, les gens ont découvert qu'il y avait une scène intellectuelle au Maghreb et dans le monde arabe, également touchée par le terrorisme. Cela a forcé la curiosité."



Source :
Magali Lesauvage pour http://fluctuat.premiere.fr/ et http://www.exponaute.com/
Hélène Sallon « Etre artiste et musulman après le 11-septembre » article du monde du 11.09.2011

http://www.mounirfatmi.com/ Site de l’artiste                                                                                          

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire